Ruralités d’Hortense Raynal

Décidément, j’aime les livres au titre pluriel, ils sont toujours singuliers. Dans Ruralités publié aux éditions des Carnets du Dessert de Lune, Hortense Raynal ne raconte pas la ruralité avec tout le folklore et les clichés qui peuvent coller au mot. Elle raconte la complexité d’une expérience qui s’insère en chacun à diverses profondeurs et qui en ce sens est multiple. Il y a autant de façons de percevoir, de vivre la ruralité que de personnes qui en font l’expérience. Hortense Raynal évoque son expérience, bien sûr, mais aussi celle des autres qu’elle a observé, rencontré. Là-bas, des gens vivent, des gens travaillent. Ce qui n’est pas son cas, elle qui est là par intermittence, en « observatrice ».

Au vert pourtant c’est vrai

Mais                     la vie ici n’est pas verte

Avance-toi

Tu sauras.

Tu sauras les marais

Tu sauras les tourmentes

Tu sauras les paysans qui se disputent les terres

Tu sauras les paysannes qui oublient leurs enfants

                              la matière organique qui grouille.

***

J’aime tout dans la bergerie

le doré du foin sous les cornes

toi qui fuis ton regard fuit tes pieds fuient tout fuit

tu veux pas

les bêtes, elles, veulent

j’ai trop de temps pour observer tout ça

toi non

(…)

Vous n’êtes pas à moi

le temps seulement est à moi, parfois

oui y a le pouvoir parfois

mais ça vous ne le savez pas

(on ne se comprend pas dans le fond)

mais j’aime

oh

oui

j’aime.

Dans Ruralités, Hortense Raynal évoque l’âpreté des plateaux de l’Aubrac. À la lecture de ces mots, on ressent la violence du vent dans le visage à en faire pleurer les yeux. On palpe l’immensité d’un territoire (presque) encore vierge de toute agitation humaine. On sent la dureté du sol rocailleux sous nos semelles, la poussière collée au fond sur les amygdales et l’odeur du foin au confluent des narines et de la gorge.

Steppes comme mongoles ces steppes de l’Aubrac.

Autrefois craintes par les pèlerins pour ses loups et son

climat rude.

Les mots d’Hortense Raynal nous remettent à notre place. Son écriture est sobre, dépouillée, rocailleuse, comme les terres qu’elle malaxe sous sa plume, pointe de la flèche de son arc de paysanne. Nous sommes seulement de passage, rappelle-t-elle. Même si nous imaginons que la terre nous appartient.

On prend des leçons avec les orages

Ils nous rappellent que la nature sans nous fait son

Chemin impassible.

***

La nature a ses saisons comme les humains

à ce détail près qu’elle accepte

que le temps passe

que les choses et les êtres disparaissent.

Dans Ruralités transparaît une hésitation entre ville et campagne, entre besoin de ne pas être dépossédé du lien avec la terre qui fait toute l’actualité de ce recueil, notamment au sein de la « génération Y ». Cette hésitation va et vient tout au long du recueil. On y lit une sorte de deuil, de culpabilité d’avoir quitté la campagne où sont ancrés les souvenirs et les sensations de l’enfance mais aussi un certain décalage qui apparaît notamment dans le chapitre Je sais mal les champs.

Je sais mal les champs

Parfois si quand même à l’arrière du tracteur

Petite

Mais lointain tout ça.

***

Interdite en pays

Interdite en ville

Interdite en mer

               Ne sait où aller

(…)

Ne sait où aller.

dans le no man’s land de l’identité

dans le ravin, des friches et des immeubles qui mur-

murent mon sang

Son sang qui circule dans un corps prisonnier de la ville et de son extrême confort, son corps et ceux des autres, entassés les uns sur les autres. Hortense se demande, depuis combien de temps n’y est-elle pas allée dans ce pays qui nourrit ses écrits. Dans ce pays où l’âpreté confère le sentiment d’exister.

Et Paris qui semble me dire, reviens, entre à nouveau ni vu

ni connu dans la caverne de mes charmes, l’anonymat des

grandes villes.                                 Au secours.

(…)

En haut d’un sommet, on se dit

il faut de la place pour exister.

                                            On l’oublie trop.

Ça suffit d’écrire. Il faut lire ce livre. Un livre avec une âme, une voix qui fait vibrer la terre où l’écriture d’Hortense Raynal agit comme un sismographe.

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