Il faut lire Vers le Nord de Stéphanie Quérité. Cet ouvrage, publié par l’excellente maison d’édition La Boucherie littéraire, évoque les questions essentielles de la langue, de l’exil, des frontières, des origines dans une écriture dense, profonde, politique qui remue ce qu’on a dans le ventre et dans le cœur.
Stéphanie Quérité a grandi tiraillée entre Sud et Nord. Sa mère, venue des Pays-Bas, parle avec un accent qui fait sourire, qui dévoile une origine étrangère, une identité autre. Stéphanie Quérité écrit la difficulté de passer d’une langue à l’autre, la peur de se tromper de mot, l’exclusion qui résulte d’une maîtrise partielle de la langue. Ne pas maîtriser la langue, c’est apparaître inférieur aux autres dans tous les espaces de la vie. Le besoin de parole est essentiel pour entrer en contact, faire société. Si l’on cherche ses mots comme on cherche dans les regards la certitude d’une compréhension, on bafouille. Stéphanie Quérité en fait l’amer constat : on ne peut être à la fois d’ici et de là-bas. Le dédoublement de langue permanent la rendit bègue.
Ma langue s’est fendue en deux
puisque du Nord lointain ma mère venait
charriant avec elle les raclements de gorge
et tout ce qui ne correspondait pas
à la musique à la langue du Sud
encourageant mes balbutiements.
Mais Vers le Nord n’est seulement l’histoire personnelle de Stéphanie Quérité. Vers le Nord porte au cœur de ses pages la puissance d’un message universel porté par l’écriture incandescente de l’autrice :
La vengeance est à l’origine de ma poésie
et de mon désir de défendre
celles et ceux qui n’ont pas les mots pour le dire.
D’une voix forte, Stéphanie Quérité dépeint le quotidien de ces exilés assignés à résidence en raison de leur origine lointaine, d’un autre Sud que le sien. Ces exilés contraints de mutiler leur identité la plus intime, leur nom de naissance pour être acceptés de ce côté-ci de la frontière. Après la tragédie du départ, celle de la traversée et à l’arrivée, l’arrachement.
Traverser
c’est d’abord se réfugier.
Ils n’ont même pas de sac
ne sont pas équipés pour le froid
le relief.
À 216 kilomètres de chez moi
des enfants marchent pieds nus dans la neige
qu’ils n’avaient jamais vue.
Leur corps n’avait jamais connu un tel froid
sur leur dos peut-être un pull.
Elle a perdu une lettre
à son nom à la frontière.
Elle a dû apprendre à dire autrement
son nom.
Place ta langue autrement.
Place ta mâchoire autrement.
Place tes lèvres autrement.
Place tes joues autrement.
Stéphanie Quérité s’insurge contre les murs de l’ignorance qui pousse l’être humain à se méfier de son semblable du moment qu’il vient d’ailleurs, du moment où sa langue n’a pas une sonorité connue.
Certaines distances rapprochent les vivants.
Certaines distances terrifient.
D’autres ne posent aucune question.
La distance vient forcément nourrir les fantasmes.
Je veux abolir la distance
entre ce qui est craint et ce qui est vécu.
Au lieu d’être un facteur d’exclusion, la langue de l’autre devrait être accueillie pour ce qu’elle est. Un témoignage d’une vitalité, d’une expression humaine autre que la sienne. Elle pourrait être un moyen de se décentrer, de s’intéresser à l’autre et de grandir à travers le partage d’autres expériences. Peut-être les personnes en exil ne veulent-elles pas perdre leur langue et leur identité, espoir de retour au pays. Abandonner sa langue sans certitude d’être accueilli par l’autre, c’est prendre le risque de devenir apatride. Ici nulle part. Alors on entasse ces personnes dans des zones périphériques où ne vivent que celles et ceux qui n’ont pas d’argent, où ne vit que la différence. Et pourtant, nous aurions tant à apprendre les uns des autres.
Viens agrandir mon cœur
toi l’étrangère qui ne peut me parler qu’autrement.
Viens agrandir mon cœur
toi l’étrangère qui m’apprend qu’on peut
penser autrement.
Viens agrandir mon cœur
toi l’étrangère qui n’est pas plus étrangère que moi.
Un livre aussi puissant que lorsque nos cœurs battent à l’unisson, Nord-Sud-Est-Ouest.

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