Votre âme sœur est peut-être dans cette forêt de Pauline Picot

« Votre âme sœur est peut-être dans cette pièce ».

Cette pièce, c’est une salle habillée pour la fête : tables garnies, toasts, verrines, saladiers de punch et verres jetables. Et puis les guirlandes, la musique et les projecteurs lumineux. Bleu – rose – bleu – rose – bleu – rose – bleu – rose pendant que la musique boucle et reboucle telle une bande-son hypnotisante. Nulle âme qui vive dans cette pièce, excepté Marie qui porte « une tenue de fête qui ne lui va pas » et qui remplit la pièce de sa présence et de son flot de parole. D’entrée, Pauline Picot plante le décor qui nous accompagnera tout au long des pages de ce livre. Publié aux éditions Quartett, Votre âme sœur est peut-être dans cette forêt est un monologue de Marie entrecoupé de fréquentes didascalies.

Marie est une femme, jeune, qui (se) pose beaucoup de questions. On imagine son débit de parole, rythmé, rapide. Ses phrases s’entremêlent, s’illuminent, se télescopent, se font écho. Marie est une cocotte-minute, ça tangue à l’intérieur, ça secoue dans tous les sens. Marie veut que ça sorte. Marie déborde, Marie crache son trop-plein de tout.

« C’est quoi ton trauma ? Ce soir je veux qu’on me demande ça. »

Dans Votre âme sœur est peut-être dans cette forêt Pauline Picot incise les méandres de l’âme soumis aux chaînes anxiogènes des injonctions sociales. Il faut dire que la société laisse peu de répit aux individus. Ils doivent se conformer à ce qu’on attend d’eux, ne pas dépasser du cadre normatif.

« C’est trop dur et puis je ne saurais pas comment m’y prendre, ce qui plaît aux gens et comment leur plaire, comment on plaît aux gens et comment on sait ça plaire aux gens, avec quelles lumières et quels plats non allergènes, comment positionner mes meubles et comment me positionner dans mes meubles, savoir si c’est trop ou pas assez, si les gens ne manqueront pas mais ne se diront pas non plus quelle gabegie quelle excès ».

Marie semble toujours à fleur de peau, sous le regard de sa mère.

« Faut toujours qu’elle dénigre ce qui se passe dans mon corps. Elle fait non elle dit carrément que j’ai pas de corps, qu’il faut que je m’en fasse un, elle veut m’en faire un en me remplissant de viande pour me donner consistance, qu’il y ait de la matière ».

La viande est une matière centrale de ce texte très organique. La viande ça nourrit, ça remplit le corps, on la délivre sur ordonnance, tendron, collier, hampe, rumsteck. Alors Marie se remplit des verres de viande hachée. Marie doit en ingérer pour satisfaire sa mère, pour plaire aux hommes aussi. Les hommes aiment la viande et aiment les femmes qui aiment la viande. Marie a peur des hommes. Marie est très attirée par les hommes.

« Un homme bien chaud. C’est quelque chose un homme bien chaud. (…) Mais un homme c’est une peau nue. Il ne faut pas que je pense à ça je vais être complètement émoustillée, je me ridiculise, je ne me reconnais pas. Une bonne peau d’homme bien nue bien chaude. Ça je pourrais le manger ».

Marie pourrait manger de la viande par amour car elle a de la place dans son cœur, de la place pour abriter de grands sentiments. Tout au long du texte, Pauline Picot vivisecte l’épaisseur des sentiments. Ses mots vifs nous entraînent dans un univers à l’intensité étrange qui n’oublie pas l’humour.

« C’est vraiment pas festif ce que je raconte. C’est un défaut que j’ai de toujours voir en noir comme ça alors que c’est une fête ».

Marie ne sait plus très bien ce qu’elle est en train de vivre ce soir. Elle se souvient du médecin qui touchait son ventre et qui le trouvait dur. Dur comme du bois.

« J’étais heureuse parce que j’étais vraiment devenue une écorce de la forêt et qu’il le sentait sous sa main. »

La neige se met à tomber, les maux se changent en troncs, les mots en écorce. Les arbres se dressent partout, forment forêt. La forêt, refuge de ce qu’il y a de plus secret, de moins avouable. La forêt, refuge du loup. Votre âme sœur est peut-être dans cette forêt n’est pas seulement une pièce de théâtre. C’est aussi un long poème à l’incandescence rare qui laisse des traces et se savoure tartare — ou bien cuit, c’est selon.

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