la voiture quitte la plaine, suit la route qui monte au milieu de la forêt
nous traversons un espace qui nous est
étranger
même lorsque nous cherchons à l’apprivoiser, même lorsque nous nous pensons accepté -respectueux
cet espace nous demeure profondément étranger car nous l’avons mutilé
pour le rendre fonctionnel
elle est belle cette route, il faut seulement faire attention aux bêtes
ce ne sont pas les bêtes qui traversent, les bêtes cherchent seulement à atteindre leur but par le chemin le plus court
ce ne sont pas les bêtes qui traversent mais nous qui imposons
notre présence
notre absence de silence
notre soif d’absolu


là-haut le paysage hésite
c’est l’hiver bien sûr
mais plus comme avant
un chemin descend sur le flanc brun de ce premier pli du Jura, l’avant-garde de la montagne portée par les résineux aux aiguilles
éternelles
les autres sont couverts de mousse pour affronter l’âpre ralentissement de la vie
doigts figés, immobiles dans leurs caresses suspendues
cinglantes


nos ombres se froissent
le soleil s’absente, revient, s’absente
entre deux nuages, déjà l’heure du coucher
dernier rayon rase le sol, transperce forêt touchée en plein cœur
petit fil d’or pointé vers le chemin boueux sur lequel nous marchons
peut-être
devrait-on marcher pieds nus
reprendre contact avec le sol, sentir l’état du monde que l’on piétine, que notre présence écrase
l’eau, la terre, les feuilles, les pierres, le bois, la poussière, les traces laissées par les invisibles
aurions-nous été si loin dans notre tentative d’amnésie au monde sans l’invention de la chaussure ?
le jour meurt déjà et le silence
pas tout à fait
un avion décolle dans la plaine
c’est si beau la fin du jour quand les nuages colorent la lumière
qui un jour a décidé de mettre tout ça sur le côté de nos vies ?



au crépuscule violacé, les feux s’allument dans la plaine
par dizaines, par centaines, par milliers, par
se souvient-on encore de l’obscurité ?
montagne demeure vierge de points lumineux, montagne dernier refuge de la nuit
au plus près de la lumière naturelle, celle des astres nocturnes
les arbres se taisent
silhouettes solitaires et forêt
le murmure des vieilles pierres roule sur la ligne de crête, rebondit dans les vallons où l’obscurité
déjà
le chuchotement des pierres pointe vers le ciel,
pas une lumière ne filtre des fenêtres ni sous la porte du bâtiment solidement ancré sur la montagne, clocher abandonné
le temps ralentit encore
pénétré par l’immobile intensité de la nuit
©Clément Bollenot, décembre 2022 pour le texte
©Camille Peney, décembre 2022 pour les photos
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