Je serai jamais morte de Fabien Drouet

Dans Je serai jamais morte, Fabien Drouet donne voix à sa grand-mère avec qui il partage un appartement. « C’est que la colocation, ça rapproche ». À première vue on pourrait se dire qu’écrire les vieux souvenirs de sa grand-mère n’a rien de très original. Mais ce livre publié aux excellentes éditions des Lisières (portée par le travail de grande qualité de l’éditrice Maud Leroy) est particulièrement remarquable pour plusieurs raisons.

D’abord, écrire sur les siens n’est jamais chose facile. Que doit-on taire, qu’a-t-on le droit de dire sans risquer de rouvrir d’anciennes cicatrices laborieusement refermées par le passage des années ?

-IL Y A DES CHOSES QUE JE TE RACONTE, Fabié, et que tu dois raconter à personne, parce que si François… Ah, bah non, François il est mort… parce que si Ma… Ah bah non, elle est morte aussi…

-…

-Non mais Fabié, tu les raconteras à personne ces histoires parce que si… euh…

-Je t’écoute mamie

-Non mais si, tu peux les écrire finalement c’est bon ils sont tous morts

Mais ce livre n’est pas un recueil de mémoires historiques. Si les souvenirs et les anecdotes de la Mamie s’insèrent effectivement dans « l’Histoire avec sa grande hache » (G. Pérec) – et notamment dans l’histoire du Maroc au temps du protectorat – ils s’en détachent, n’étant nullement la vérité des livres d’Histoire mais seulement celle d’une personne parmi tant d’autres avec son regard d’enfant, de jeune adulte puis d’adulte.

Les émotions occupent une place importante dans ce livre. Il y a beaucoup de tendresse et c’est souvent très drôle, notamment dans les discussions du quotidien. On pense par exemple à cet hilarant passage sur les fruits de saison :

-FABIÉÉÉ

-Oui

-Ta mère nous a acheté des tomates mais je sais pas pourquoi j’en ai pas du tout envie peut-être que je suis malade

-Euh… Non, je dirais qu’au contraire, tu es bien en forme puisque les tomates en janvier c’est normal qu’on n’en ait pas trop envie

-Pourquoi ?

-Disons… que… c’est pas un fruit de saison

-Olala, vous m’embêtez avec vos trucs de saisons ou pas de saison, à mon époque ça existait pas les fruits de saison

-Ca existait pas parce qu’il y avait que des fruits de saison

-Ah, non, puisqu’on disait jamais « fruit de saison »

-Oui mais parce que c’était pas la peine que ça ait un nom puisque tous les fruits étaient de saison

-Bah non, moi j’avais jamais entendu parler de ces fruits de saison

-Tu trouvais des tomates en hiver avant ?

-Ah ça, non, Fabié, l’hiver c’était pas la saison des tomates

Dans la structure du texte, on assiste à des allers-retours entre passé et présent. Un dialogue se dessine entre le « tu » de l’auteur qui s’adresse à sa grand-mère et le « je » de la mamie à qui il donne la parole. C’est que la grand-mère de Fabiééé c’est un sacré personnage, particulièrement mis en relief par le style oral de l’écriture du livre. On a l’impression d’assister aux scènes dans la même pièce que les protagonistes, comme le spectateur d’une pièce de théâtre. On entend clairement la voix de Mamie lorsqu’elle appelle son petit-fils pour lui raconter ce qui vient de lui traverser la tête :

-FABIÉ, pour le livre que tu prépares sur moi, je pense que tu devrais faire par petits paragraphes tu vois

-Ah bon, je prépare un livre sur toi mamie ?

-Bah oui, j’ai bien remarqué toutes ces feuilles qui traînent, je les lis, par contre les dessins que tu fais sur les feuilles ils sont pas très beaux

-C’est des dessins un peu automatiques, quand je réfléchis

-Bah le dessin c’est pas ton fort hein

-Et qu’est ce que tu entends par petits paragraphes ?

-Bah des écritures qui racontent pas toute ma vie mais qui racontent plutôt des morceaux quoi, mais pas des poèmes, j’ai jamais aimé les poèmes, personne a jamais aimé pour de vrai les poèmes d’ailleurs, c’est pas vrai ce que je dis ?

Aujourd’hui, la dépendance des personnes âgées et leur fin de vie est un vrai sujet de société. Peut-on les laisser dépérir dans des lieux sans chaleur, loin de la vie qui coule encore sous leurs peaux ridées ? Je serai jamais morte apparaît à bien des égards comme un plaidoyer pour le droit des personnes âgées à terminer leur vie auprès des leurs. Un très beau livre, à déguster comme il se doit.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Créez un site ou un blog sur WordPress.com

%d blogueurs aiment cette page :